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Progrès, choc des civilisations et déterminisme économique ?

Les grandes civilisations selon Huntington – source Wikipedia

La publication de la traduction française, du dernier livre de Joel Mokyr, “La culture de la croissance” accorde une place déterminante à la culture de la croissance en Occident et en fait le moteur du développement occidental.

En d’autres termes : a-t-on pensé, imaginé et développé la croissance avant qu’elle ne prenne corps dans l’économie de l’Occident ? Une telle démarche et analyse, viennent relancer le débat sur le “pourquoi” de la croissance, et derrière, sur le choc des civilisations.

Pour l’auteur qui est aujourd’hui l’historien de référence sur la révolution technique du XVIII° en Angleterre, “ l’explosion du progrès technique a été rendue possible par des changements de comportement d’origine culturelle “. La figure de l’entrepreneur culturel -ce que nous dénommons: l’idéologue- est au centre du dispositif de progrès défini par J. Mokyr.
Mais cette vision culturelle reste floue. Et elle ne nous explique pas pourquoi cela fonctionne dans certaines régions et pas toutes … En outre, historiquement, il faudrait reprendre l’ensemble de l’histoire des techniques, notamment la période du Moyen-Age, pour vérifier que cela s’applique.

Ce propos très riche ouvre de nouvelles perspectives passionnantes, mais n’emporte pas notre adhésion car la “culture de la croissance” n’est pas un concept comparable à la culture : L’objet technique n’est pas une oeuvre d’art; il est gouverné par l’utilité et pas la beauté. La beauté de l’art n’a rien à voir avec l’efficacité de la technique.

Ce qui fait démarrer la technique européenne autour de l’an mille (La charrue, le ferrage des chevaux, le moulin à vent, l’assolement triennal etc. et pas seulement au XVIII°), ce n’est pas l’idée de progrès mais la liberté individuelle d’entreprendre et de s’enrichir personnellement en exploitant l’invention en fonction de sa seule valorisation économique. Le Moyen-Âge est rempli de ce type d’innovation ouvertement fondé sur la rentabilité, souvent à partir d’invention orientale (papier, imprimerie, gouvernail d’étambot etc.).

Si l’on projetait les réflexions de l’auteur sur l’ensemble du monde, cela conduirait à remettre la culture au centre de la compétition internationale et on retrouverait les thèses sur le choc des civilisations. Sans vouloir limiter le développement à un déterminisme matérialiste, il faut constater aujourd’hui que l’histoire est en train de clôturer le débat : il n’y a pas d’avenir de l’humanité sans mettre l’efficacité au centre de ce développement. Et il n’y a pas de meilleur moyen d’optimiser ce développement que d’utiliser les outils économiques développés par l’Occident et aujourd’hui par l’ensemble de la planète..

Cette société (occidentale) est mercantile et structure la cohérence de ses choix par le concept d’efficacité; parfois, elle autorise ces développements au-delà de la raison, mais elle libère une force et une puissance sans équivalent.

Dans le domaine de la croissance, il n’y a plus de miracle. Chaque fois qu’on parle de croissance et qu’on prétend avoir une idée nouvelle, il faut se poser la question : est-ce vrai ailleurs ? est-ce vrai pour toutes les époques et toutes civilisations. Et il faut bien constater que seule la société occidentale moderne s’est imposée au monde entier et a réussi (encore insuffisamment) à mettre en place une machine de croissance mondiale. Mais n’y a pas de culture: il y a un processus de choix collectif. La culture reste un élément du choix de second ordre, que ce soit pour changer un processus de production ou modifier un achat de matériel. L’efficacité économique s’impose comme le centre du processus de choix. Si l’on pousse le raisonnement, on pourrait dire que l’économie est la science de l’efficacité qui en est la nature profonde.

D’un point de vue anthropologique, notre civilisation n’est plus seulement occidentale et c’est pourquoi, j’ai barré le terme ci-dessus. Notre civilisation est une “V.1” du développement. Cette V.1 a deux caractéristiques :
1 – Les arbitrages de richesse (partages des créations de valeur) sont sous l’influence des marchés.
2 – Le rôle de l’efficacité est déterminant.
En d’autres termes, la réponse anthropologique à la crise actuelle doit intégrer le concept d’efficacité.
Pour beaucoup de lecteurs, cela n’est pas très satisfaisant … certes, mais c’est mieux que les partages violents de types militaires. Inversement, cela impose de développer un système économique performant.

Patrice Noailles-Siméon

La Culture de la Croissance; Les origines de l’économie moderne.
Par Joël Mokyr, 2020, Editions Galimard, Paris.

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